Heather Gilberds est gestionnaire de programme à Farm Radio International, supervisant un programme de santé mentale des adolescents au Malawi et en Tanzanie. Heather est candidate au doctorat et professeure à l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton, où elle mène des recherches sur la radio et les TIC, la communication en santé publique, et l’évaluation de l’impact en Afrique sub-saharienne.
Le projet « d’approche intégrée à la lutte contre la dépression chez les jeunes au Malawi et en Tanzanie », financé dans le cadre du programme La Santé mentale dans le monde de Grands Défis Canada, est une collaboration intéressante entre des partenaires quelque peu improbables : Farm Radio International et le Dr Stan Kutcher, expert international en psychiatrie de l’adolescence.
L’expertise de Farm Radio se porte sur la communication par radio et les plates-formes de téléphonie mobile. Nous travaillons généralement dans le secteur de l’agriculture, dans des programmes visant à améliorer l’adoption d’une pratique ou d’une technologie par les petits agriculteurs un peu partout en Afrique. Nous avons également participé à de nombreux projets axés sur l’échelle en raison de la nature de la radio et de la téléphonie mobile, où il est possible d’atteindre un grand nombre de personnes à un coût très bas.
Le Dr Kutcher a joué un rôle de premier plan au Canada et dans de nombreux autres pays au niveau de l’intégration de ressources pédagogiques en santé mentale dans les écoles secondaires et de la formation des fournisseurs de soins primaires pour qu’ils puissent diagnostiquer et traiter les troubles mentaux chez les adolescents. Nous avons combiné tous ces éléments dans un programme intégré que nous avons déployé au Malawi et en Tanzanie au cours des trois dernières années.
Éléments du programme
Le programme se compose des éléments suivants :
- Une campagne hebdomadaire nationale à la radio dans chaque pays, diffusée sur un certain nombre de stations. Le programme radiophonique comprend un feuilleton hebdomadaire, des consultations téléphonique avec des experts, des jeux-questionnaires et des sondages afin d’évaluer l’absorption des connaissances, ainsi que des panels de jeunes, des débats et des
- Un programme scolaire de formation des enseignants du secondaire sur la façon d’utiliser un programme de santé mentale dans leur salle de classe, et de formation des éducateurs pairs pour animer des « clubs de santé mentale » sur une base hebdomadaire. Les clubs de santé mentale écoutent le programme de radio hebdomadaire. Les enseignants sont également formés sur la thérapie cognitivo-comportementale de base (TCC) et sur le renvoi vers un fournisseur de soins de santé au besoin.
- La formation d’agents de santé de première ligne dans les cliniques communautaires à proximité des écoles ciblées, portant sur le dépistage, le diagnostic et le traitement de la dépression chez les adolescents.
Introduction à la politique
Nous avons entrepris le projet au Malawi central en 2012, et amorcé la deuxième phase dans la région de Kiliminjaro, en Tanzanie, en 2014. Dès le début, nous avons été confrontés à des défis importants dans nos partenariats au Malawi, qui ont provoqué la rupture de nos relations initiales avec des décideurs clés du pays. Par conséquent, nous avons du réfléchir de façon créative dès le départ sur la façon de consolider et d’améliorer les relations avec les principaux décideurs.
Au Malawi, l’unité des maladies non transmissibles du ministère de la Santé venait de publier son plus récent plan d’action en santé mentale. Le plan comprenait de nombreuses activités que nous avions prévu de faire dans le cadre de notre programme financé par Grands Défis Canada. Nous avons saisi cette occasion pour devenir des partenaires d’exécution clés. Notre champion a été le directeur adjoint des services de santé mentale, Michael Udedi, un jeune cadre médical clinique passionné et dévoué qui entamait tout juste sa carrière au sein du ministère.
Nous avons appris de notre expérience au Malawi pour commencer à bâtir des relations avec les décideurs clés en Tanzanie. Ce ne fut pas une tâche facile et il a fallu beaucoup de persévérance de la part de notre personnel dans ce pays. Notre gestionnaire de programme pour la Tanzanie, Nderingo, a tenté sans relâche d’obtenir une rencontre avec le directeur des services de santé mentale au ministère de la Santé, mais les réunions étaient toujours annulées à la dernière minute. Il a décidé de s’asseoir devant le bureau du directeur, jusqu’à ce qu’il puisse obtenir une rencontre.
Il a attendu pendant 8 heures le premier jour, 10 heures le deuxième jour et 6 heures le troisième jour. Il a finalement obtenu une réunion. Il a rencontré le directeur, un haut fonctionnaire du ministère de la Santé près de l’âge de la retraite. Lorsque Nderingo à décrit notre projet, les yeux du directeur se sont illuminés. En 2014, la Tanzanie était aussi en train de réviser son plan d’action en santé mentale, et le directeur a vu l’occasion de défendre un projet qui pourrait devenir son héritage avant de partir à la retraite.
Ingrédients importants
Dans les deux cas, deux ingrédients se sont révélés très importants :
- Tout d’abord, nous avions un champion. Au Malawi, il s’agit d’une personne qui vient de commencer sa carrière. En Tanzanie, il s’agit de quelqu’un qui est en fin de carrière. Dans les deux cas, le champion a une motivation personnelle et assez concrète : faire avancer sa carrière dans le premier cas, et laisser un héritage dans le second cas.
- Le deuxième ingrédient est que nous avons bénéficié d’une conjoncture favorable. Les deux pays était en train de réviser ou de mettre en œuvre de nouveaux plans d’action en santé mentale, sans avoir une idée très précise de la façon de mener les activités que les plans d’action s’engageaient à réaliser.
En dépit de ces deux ingrédients très propices dans les deux pays, les choses n’ont pas toujours été faciles. L’engagement politique réel est un processus continu et itératif. Nous avions sans cesse besoin d’apporter des ajustements pour engager les décideurs politiques dans le processus de mise en œuvre, et pour faire travailler efficacement nos champions à nos côtés comme partenaires. Nous avons souvent associé les décideurs à la réalisation des activités dans les trois segments de notre programme :
- Pour la campagne à la radio, les responsables politiques ont été invités à examiner les scripts des dramatiques et à siéger à des comités consultatifs nationaux qui se réunissent à chaque trimestre pour examiner le programme radiophonique et présenter des suggestions.
- Pour le programme scolaire, les responsables politiques ont siégé aux comités d’examen et d’adaptation des programmes scolaires et ont aidé à élaborer la méthodologie de formation.
- Pour la formation des prestataires de soins de santé, des représentants du ministère de la Santé ont été formés comme maîtres facilitateurs et nous ont aidés à sélectionner les centres de santé et les travailleurs de la santé qui allaient suivre le programme de formation.
Adhésion à la politique
Dans les deux pays, les décideurs ne sont pas seulement les gens qui nous ont donné l’autorisation de faire de la recherche ou permis de travailler sans obstacle. Ils ont été des partenaires d’exécution essentiels, impliqués dans tous les aspects du programme – de la conception de la stratégie média à la participation à la formation. Ils ont éprouvé un sentiment d’appartenance au programme, et se sentaient habilités à défendre le dossier dans leur ministère.
À la suite de ces actions, nous avons eu un degré appréciable d’adhésion à la politique. La fluoxétine est un antidépresseur important figurant sur la liste modèle des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la Santé. Toutefois, dans les deux pays, la fluoxétine n’était pas disponible au niveau du district pour le traitement de la dépression chez les adolescents.
Au Malawi, notre champion a révisé les lignes directrices en matière de traitement pour forcer les districts à se procurer de la fluoxétine auprès du magasin médical central. En Tanzanie, notre champion a réussi à faire ajouter la fluoxétine à la nouvelle liste des médicaments essentiels, actuellement à l’étude, la première étape pour s’assurer qu’il soit disponible gratuitement.
Les deux pays révisent leur stratégie en matière de santé mentale en 2016 et ils ont invité le Dr Kutcher à siéger à des comités consultatifs pour veiller à ce que la santé mentale des adolescents soit prioritaire. Ce ne sont pas là de modestes exploits.
Résumé
Pour résumer, voici cinq grandes raisons pour lesquelles nous avons pu obtenir l’appui des décideurs politiques et d’influencer les décisions au niveau des politiques :
- Nous avons eu un bon accès aux principaux décideurs dans les deux pays.
- Nous avons trouvé des champions au sein des ministères. La clé est que les deux champions ont un intérêt direct et personnel dans le projet. Nous avons amené les champions à s’identifier à certains éléments de la mise en œuvre.
- Nous avons continuellement fourni des preuves : les champions n’auraient pas pu obtenir l’appui de leurs supérieurs sans données probantes. La capacité de fournir des preuves de succès sur une base continue pendant toute la durée du projet leur a donné des munitions pour être des champions couronnés de succès.
- L’art de réussir ou la chance : dans chaque pays, des occasions propices se sont présentées pour participer à la révision des plans d’action et des politiques de santé mentale.
- Le programme radiophonique nous a fourni un outil de promotion : ce programme est non seulement un outil pour améliorer les connaissances et les attitudes, mais une plate-forme permettant aux jeunes de revendiquer de meilleurs services de santé mentale. L’étendue de cette plate-forme a fait en sorte que les décideurs ont pris le temps d’écouter. En conséquence, ils s’assurent que leurs politiques et plans révisés comportent des dispositions distinctes pour les jeunes.
Pour connaître les outils permettant de développer des stratégies d’influence et d’engagement, consulter la trousse pour influencer les politiques de santé mentale dans le monde de l’ODI et du Mental Health Innovation Network.
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