Micaela Collins est co-chercheure principale du projet « Pasteurisation du lait maternel pour les travailleuses du vêtement au Bangladesh », dans le cadre du programme Les Étoiles en santé mondiale. La chercheuse principale du projet est la Dre Sabrina Rasheed, experte en allaitement maternel et en nutrition des nourrissons au Centre international pour la recherche sur les maladies diarrhéiques, au Bangladesh.
La Semaine mondiale de l’allaitement maternel 2015, qui s’est déroulée du 1er au 7 août, a marqué le 22e anniversaire de l’Initiative amicale aux mères en milieu de travail (MFWI). Conçue par l’Association mondiale de l’allaitement, la campagne positionne à juste titre la combinaison des rôles productifs et reproductifs des femmes comme « un problème de santé, un problème économique, un problème de main-d’œuvre et un problème de droits humains ». Les lieux de travail amicaux aux mères se sont multipliés dans le monde, et les avantages du programme ne sauraient être niés. De la réduction de l’absentéisme, à la diminution des coûts de l’assurance des soins de santé à une amélioration de l’image de l’entreprise, la littérature révèle que les avantages des lieux de travail facilitant l’allaitement vont au-delà de la dyade mère-enfant. Pourtant, le thème de la Semaine mondiale de l’allaitement de cette année – Allaitement et travail : mettez-le en pratique! – indique qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour que les mères qui travaillent partout dans le monde puissent avoir accès à des milieux de travail vraiment conviviaux.
L’ampleur du problème est plus apparente dans le monde en développement, où les lieux de travail amicaux aux mères sont relativement rares, alors que des pratiques d’allaitement sous-optimales peuvent avoir des conséquences immédiates et désastreuses. Au Bangladesh, plus de 9000 enfants meurent chaque année de maladies nutritionnelles, diarrhéiques et typhoïdiques subséquentes à une consommation insuffisante de lait maternel et d’une plus grande dépendance à l’égard d’aliments complémentaires. Le succès du pays qui a dépassé son objectif de développement du Millénaire ne doit pas être sous-estimé, et une pléthore de programmes privés et publics font valoir les avantages de bonnes pratiques d’allaitement. Cependant, il y a un manque de soutien institutionnel et sociétal adapté aux besoins des mères qui travaillent.
En mai, j’étais au Bangladesh, où je me suis rendu dans une usine de confection de Dhaka. Même si elles n’avaient que de vagues connaissances sur l’allaitement au sein, les femmes avec qui j’ai parlé étaient douloureusement conscientes que le lait maternel est la meilleure source de nutrition pour leurs enfants. La réalité est qu’elles travaillaient de dix à douze heures par jour, six jours par semaine, et ne pouvaient pas amener leurs nourrissons avec elles au travail, elles ne possédaient pas de pompe mammaire (ou même un réfrigérateur, dans certains cas) pour recueillir et conserver leur lait. Maintenant, prenons en considération que les femmes avec qui j’ai parlé ne sont qu’une poignée des quelque trois millions de travailleuses dans les usines de vêtements du Bangladesh, que la majorité de ces femmes au travail sont en âge de procréer et qu’il y a, en moyenne, 2,2 enfants par famille dans les centres urbains. Il est impossible de nier que ces circonstances présentent un problème d’une ampleur considérable. Ce problème a donné l’impulsion au développement du « Projet lait maternel au Bangladesh ».
L’idée initiale était de fournir des pompes mammaires aux travailleuses post-partum des usines de vêtements pour qu’elles puissent exprimer leur lait maternel au travail. Nous avons vite constaté que cela engendrait un autre problème. Alors que les pompes mammaires pouvaient être branchées à l’alimentation électrique relativement stable des usines de vêtements, de nombreuses femmes ne disposaient pas d’un moyen sûr pour conserver leur lait maternel après qu’il ait été recueilli, ou d’installation à la maison pour stériliser correctement les contenants. Nous devions trouver un moyen de garder le lait maternel de façon sécuritaire pour la consommation subséquente après qu’il ait été à la température ambiante pendant plusieurs heures ou toute la nuit. Éventuellement, nous avons opté pour la pasteurisation. Depuis longtemps utilisé par les banques de lait humain, ce procédé tue les particules virales et entrave de manière significative la croissance des bactéries. Il n’y a qu’un corpus limité de travaux sur les avantages de la pasteurisation du lait maternel (la mise en banque de lait maternel a perdu en popularité après l’émergence du VIH, mais a récemment connu un regain d’intérêt), mais plusieurs études ont montré que le lait maternel pasteurisé laissé à température ambiante pendant une période étendue démontre une infime croissance bactérienne, voire aucune.
Dans cette optique, nous avons entrepris de concevoir un prototype de dispositif peu coûteux de pasteurisation, à petite échelle, qui ne requiert pas d’eau, sauf les petites quantités nécessaires pour le procédé de stérilisation. Notre programme permettra aux travailleuses d’exprimer leur lait au travail et de le stabiliser en vue d’un entreposage prolongé. Les mères recrutées seront formées sur la façon d’utiliser une pompe mammaire électrique et inscrites à un programme éducatif fondé sur des données probantes et guidé par la collectivité, qui a été élaboré par le Centre international de recherche sur les maladies diarrhéiques, au Bangladesh (cirmd,b). Chaque femme recevra également sa propre trousse de pompe mammaire, y compris une pompe à piston manuelle qui peut être utilisée lorsqu’il n’y a pas d’électricité. Une ou deux fois par jour, les femmes viennent à la clinique de l’usine et pompent leur lait directement dans une bouteille de verre pré-stérilisée. Le lait est pasteurisé et mis à la disposition des mères ou des aidants naturels pour le rapporter à la maison et le donner au nourrisson le lendemain.
Il y a près d’un an, Grands Défis Canada (qui est financé par le gouvernement du Canada) nous a appuyés par le biais d’une subvention de démarrage dans le cadre du programme Les Étoiles en santé mondiale pour nous permettre de développer notre approche novatrice en vue de promouvoir l’alimentation au lait maternel des enfants des travailleuses des usines de vêtements. Notre idée a pris naissance comme projet de classe pour le cours « Défis en santé mondiale » du Dr Yu Ling Cheng, à l’Université de Toronto. Aujourd’hui, il est piloté par le cirmd,b et largement soutenu par Medela Australie. Nous travaillons à déterminer la limite supérieure de stockage sécuritaire du lait maternel pasteurisé à la température ‘Bangladeshi’ ambiante (plus élevée que dans d’autres parties du monde) et à caractériser le type et la quantité de bactéries, de spores, de champignons et de levures qui prolifèrent dans le lait maternel pasteurisé et non pasteurisé au fil du temps. Cela permettra d’assurer que le lait pasteurisé est absolument sécuritaire pour les nourrissons. Des tests préliminaires sur du lait de vache cru fortement contaminé ont prouvé l’efficacité du dispositif de pasteurisation. Les échantillons dont la numération bactérienne initiale était trop élevée pour être quantifiée étaient sécuritaires pour la consommation humaine après un cycle de pasteurisation.
Les progrès ont été plus lents que prévu. Dans le sillage de l’effondrement de l’usine de confection Rana Plaza en 2013, des programmes de sécurité et de santé en milieu de travail ont été annoncés, mais nous avons rapidement découvert que de nombreux lieux de travail sont toujours intrinsèquement «hostiles aux mères». Notamment, les mères se retrouvent souvent à mentir sur leur état post-partum à des employeurs potentiels : avoir de jeunes enfants est une responsabilité et peut nuire à leurs perspectives d’emploi. Il est difficile d’avoir un programme pour les mères au travail quand aucune femme ne veut admettre être une mère qui travaille. Enfin, nous avons pu établir un partenariat avec une usine de confection locale à Dhaka. Le mois prochain, les premières participantes seront inscrites et nous allons entreprendre la collecte des données.
Je n’ai pas d’illusions quant aux mois à venir : nous allons certainement rencontrer des problèmes imprévus. Il y a beaucoup de travail à faire et le déploiement du projet sera parfois difficile. Mais je suis aussi enthousiaste. Nous avons été en mesure de travailler avec des experts du monde entier qui partagent notre passion pour l’amélioration de la santé des femmes et des enfants parmi les plus vulnérables du Bangladesh. Nous avons obtenu la possibilité de changer des vies. Les résultats et l’impact de ce projet novateur qui vise à aider les femmes à combiner l’allaitement et le travail se feront sentir bien au-delà de la Semaine mondiale de l’allaitement.
Pour plus d’information sur ce projet, visitez la page du projet : Pasteurisation du lait maternel pour les travailleuses du vêtement du Bangladesh.
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