Le Dr. Madhukar Pai est professeur agrégé à l’Université McGill, à Montréal, et directeur associé du Centre international de la tuberculose McGill. Ses recherches sont principalement axées sur l’amélioration du diagnostic de la tuberculose, notamment dans les pays les plus frappés par la maladie. Ses travaux sont appuyés par des subventions de la Fondation Bill & Melinda Gates, de Grands Défis Canada et des Instituts de recherche en santé du Canada.
Le 24 mars est la Journée mondiale de la tuberculose, ce qui est une bonne occasion pour faire le bilan de la lutte contre la tuberculose dans le monde. Malheureusement, malgré les progrès réalisés, quelque 8,6 millions de personnes ont contracté la tuberculose en 2012 et 1,3 million en sont mortes. À elle seule, l’Inde représente 25 % du fardeau mondial de cette maladie.
Le Rapport 2013 sur la lutte contre la tuberculose dans le monde de l’OMC soulignait deux défis majeurs dans la lutte contre l’épidémie de la tuberculose. Premièrement, sur les 8,6 millions de cas estimés, près de 3 millions n’étaient pas « identifiés », soit parce qu’ils n’étaient pas diagnostiqués soit parce qu’ils n’étaient pas rapportés par les systèmes de santé; deuxièmement, la crise croissante de la tuberculose multirésistante aux médicaments (TB‑MR), alors que 3 cas sur 4 de TB-MR n’ont pas encore été diagnostiqués et traités.
L’Inde compte pour le tiers des « 3 millions de cas manquants » et ce pays fait piètre figure pour le diagnostic et le traitement de la TB‑MR. Des 64 000 cas estimatifs de TB-MR parmi les cas déclarés en 2012, seulement 17 373 ont été diagnostiqués dans le cadre du Programme national révisé de lutte contre la tuberculose (RNTCP). Bien que certains des cas manquants en Inde puissent être entièrement non diagnostiqués, il est probable qu’un grand nombre des personnes atteintes aient cherché des soins dans le secteur informel ou le secteur privé, mais n’aient jamais été déclarés.
La plupart des Indiens cherchent des soins de santé dans le secteur privé. Des études indiquent que les patients commencent souvent par rechercher des soins dans le secteur privé informel (pharmaciens et praticiens non qualifiés), puis s’adressent à des praticiens qualifiés, pour éventuellement obtenir des soins gratuits du RNTCP. En Inde, la tuberculose est diagnostiquée après un délai d’environ 2 mois, et trois fournisseurs de soins ont été consultés avant que les patients ne soient diagnostiqués et reçoivent un traitement pour la tuberculose. Des études sur les médicaments prescrits révèlent l’utilisation généralisée de régimes de médication erratiques. Les méthodes de diagnostic dans le secteur privé demeurent sous-optimales et dépendent fortement d’analyses de sang peu fiables pour le dépistage de la tuberculose.
Ainsi, la qualité des soins contre la tuberculose en Inde est une source de préoccupation majeure et, mal gérée, la maladie peut être un facteur important de la résistance aux médicaments dans ce pays. Malgré cela, il n’y a actuellement aucun programme pour évaluer systématiquement la qualité des soins, y compris l’exactitude des diagnostics et/ou de l’efficacité du traitement, parmi les fournisseurs de soins de santé indiens. Ainsi, il n’existe actuellement aucune information sur ce qui se produit lorsqu’une personne affectée par une toux depuis deux semaines va consulter un fournisseur de soins de santé en Inde, et nous ne savons pas non plus comment la qualité des soins varie entre les cliniques publiques et privées et entre les fournisseurs de soins qualifiés et non qualifiés.
Le RNTCP a récemment annoncé qu’il visait « l’accès universel à un diagnostic et à un traitement de qualité pour tous les patients atteints de tuberculose dans la collectivité » comme objectif du nouveau Plan stratégique national. Reconnaissant le besoin de mobiliser le secteur privé dans l’élaboration d’une solution, le Plan prévoit l’engagement du secteur privé en ayant recours à des « Agences d’interface avec les fournisseurs privés » (PPIA) pour recruter, sensibiliser, motiver, et suivre les diagnostics et les traitements dispensés par des prestateurs privés, offrir aux patients traités dans le secteur privé une contribution aux coûts sous forme de diagnostics subventionnés et de médicaments gratuits, et améliorer la déclaration de cas dans le cadre du RNTCP.
Pour tester le modèle des PPIA, plusieurs partenaires (dont la Fondation Bill & Melinda Gates) mettent actuellement en œuvre des projets pilotes de PPIA à Mumbaï et Patna pour recueillir des données probantes en vue du déploiement à l’échelle. C’est dans ce contexte que nous avons proposé l’utilisation de patients standardisés (clients mystères) pour évaluer la qualité des soins de la tuberculose en Inde, intégrés aux projets pilotes de PPIA à Mumbaï et Patna.
Grâce à l’appui de bailleurs de fonds tels que Grands Défis Canada (dont le financement provient du gouvernement du Canada) et la Fondation Bill & Melinda Gates, qui reconnaissent la valeur d’approches innovatrices à haut risque, le système de surveillance de la qualité des soins que nous développons sera le premier programme du genre pour mesurer et améliorer la qualité des soins de la tuberculose.
Les patients standardisés sont des acteurs formés pour présenter un dossier cohérent de la maladie à des fournisseurs de soins de santé. À la différence des vérifications d’ordonnances et des vignettes hypothétiques, qui mesurent les connaissances et les compétences cliniques, l’approche du client mystère a fait ses preuves pour évaluer avec exactitude les méthodes des fournisseurs de soins. Cela est important parce que la pratique clinique peut différer sensiblement du savoir ou des compétences.
La méthode du patient standardisé a récemment été employée en Inde par Jishnu Das et ses collaborateurs pour examiner la qualité des soins de l’angine, de l’asthme et de la dysenterie. L’étude a révélé de faibles niveaux de formation médicale. Les diagnostics exacts étaient rares et de mauvais traitements étaient fréquemment prescrits. Si ces observations s’appliquent aussi aux soins de la tuberculose, cela changerait radicalement les perceptions actuelles des questions systémiques sous-jacentes dans la lutte contre la tuberculose et pourrait influencer les politiques.
Même si la méthode des patients standardisés est considérée jusqu’à maintenant comme l’étalon or, elle n’a jamais été employée pour évaluer la tuberculose. Par conséquent, nous avons été très heureux d’apprendre que notre proposition (avec Jishnu Das comme co-chercheur principal) avait été retenue au terme du concours de la 5ème ronde du programme Les Étoiles en santé mondiale. Avec la subvention de la Phase 1, nous avons déjà entrepris un projet pilote à New Delhi pour évaluer la validité de l’emploi de patients mystères pour évaluer les soins de la tuberculose parmi les fournisseurs qualifiés et informels (y compris les pharmaciens). Selon les résultats du projet pilote (attendus à l’automne), nous espérons étendre l’étude visant à évaluer la qualité des soins de la TB à Mumbaï et Patna, dans le cadre des interventions PPIA dans ces villes. Cette expansion sera soutenue par la Fondation Bill & Melinda Gates et menée en partenariat avec l’Institut de recherche sociale et économique sur le développement et la démocratie (ISERDD).
Appliquée avec succès, la méthode des patients standardisés pourrait produire des améliorations significatives de la qualité des soins dans un pays où près de 1 000 personnes meurent de la tuberculose chaque jour.
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