Dans notre dernier blogue, nous avons expliqué comment l’approche des Grands Défis peut aider le monde à résoudre des problèmes complexes. L’approche des Grands Défis a été créée il y a 100 ans par David Hilbert pour solutionner des problèmes de mathématique. En 2003, Bill Gates l’a appliqué au domaine de la santé mondiale et, durant dernière décennie, elle a évolué pour devenir une plate-forme servant à différents groupes au sein des gouvernements, des universités, de la société civile et du secteur privé collaborant pour surmonter des défis communs. L’approche des Grands Défis vise à résoudre des problèmes en stimulant l’innovation et en captant l’imagination populaire. Au-delà de la santé, elle a été appliquée dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie, de l’éducation, de la gouvernance et d’autres.
En ce moment, l’attention du monde est tournée vers l’élaboration d’objectifs de développement post-2015 en remplacement des Objectifs du Millénaire pour le développement qui viendront à échéance en 2015. Ces objectifs ont un but similaire à celui des Grands Défis, soit centrer l’attention et les ressources pour résoudre des problèmes mondiaux complexes. Ils visent aussi un horizon similaire – 10 à 20 ans – pour la mise en œuvre des solutions. Il est donc particulièrement opportun de se demander si et comment l’approche des Grands Défis pourrait contribuer à l’atteinte des objectifs post-2015.
Nous entrevoyons deux rôles potentiels pour l’approche des Grands Défis. Le premier serait de considérer l’atteinte des objectifs post-2015 comme étant équivalent à résoudre des Grands Défis. Le second serait de dynamiser la mise en œuvre des objectifs de développement post-2015 par l’approche des Grands Défis. Les Grands Défis interviendraient pour stimuler l’innovation en vue d’atteindre ces objectifs, ou une partie de ceux-ci, comme la survie néonatale dans le cadre de l’effort global visant à améliorer la survie des enfants de moins de cinq ans.
A titre d’exemple, l’initiative Sauver des vies à la naissance regroupe à ce jour cinq bailleurs de fonds de quatre pays (l’USAID, Grands Défis Canada, la Fondation Bill & Melinda Gates, l’agence du Développement international du Royaume-Uni et NORAD de la Norvège) et 39 innovateurs en vue de stimuler l’innovation sur la question des décès maternels et néonatals (qui représentent environ 40 % des décès chez les enfants de moins de cinq ans). De même, en 2012, l’initiative Promise for Children a réuni l’Inde, l’Éthiopie et l’USAID en collaboration avec l’UNICEF dans un effort visant à établir une cible de réduction du taux national de mortalité infantile à 20 ou moins par 1000 naissances en 2035, un objectif qui a depuis été adopté par 160 pays à travers le monde. Cet objectif pourrait être assimilé à la fois à la résolution de ce Grand Défi et à l’atteinte d’un objectif de développement post-2015.
Dans chacun de ces rôles, l’approche des Grands Défis peut être considérée comme un cadre d’action pour atteindre les objectifs de développement post-2015. Elle permettrait aux bailleurs de fonds et aux innovateurs d’adopter une approche souple et entrepreneuriale pour préciser « comment » un objectif de développement sera résolu, tout en demeurant clairement axé sur un but commun final. Appliquer l’approche des Grands Défis de cette manière comporterait au moins quatre grands avantages.
Tout d’abord, l’approche des Grands Défis stimule et accélère l’innovation en réunissant des communautés d’innovateurs, qui apprennent et collaborent au contact des uns et des autres. L’innovation est essentielle pour résoudre les défis complexes du développement mondial. Pour certains problèmes, il existe des solutions qui ont simplement besoin d’être déployées à l’échelle de façon durable, peut-être grâce à l’innovation sociale et/ou commerciale. Ainsi, certains des grands défis liés à l’éradication de la polio sont d’assurer une prestation sécuritaire des services, de stimuler la demande de vaccins et de recueillir des fonds suffisants. Dans beaucoup d’autres cas, cependant, les solutions et les approches n’ont pas prouvé leur efficacité et il importe donc de concevoir de nouvelles solutions. À titre d’exemple, en réunissant des chercheurs et des spécialistes de l’éthique, l’initiative des Grands Défis en santé mondiale de la Fondation Bill & Melinda Gates a contribué à accélérer le progrès scientifique au point où des essais sur le terrain ont été menés sur des moustiques qui ne transmettent pas la dengue ou le paludisme. L’innovation trace la voie vers l’impact. En mettant l’accent sur l’innovation, il est essentiel d’avoir une vision très large et inclusive qui englobe à l’innovation sociale, commerciale et scientifique/technologique, ce que nous appelons l’Innovation intégréeMC.
Deuxièmement, comme l’a fait valoir Anne-Marie Slaughter, de l’Université Princeton, l’approche des Grands Défis fournit une plate-forme aux parties prenantes pour s’organiser et mobiliser des ressources (financières et humaines) en vue de parvenir à un but commun final. Selon nous, pour que la période post-2015 soit couronnée de succès, il faudra mobiliser un large éventail de secteurs, y compris les gouvernements, les organismes sans but lucratif, le secteur privé, les universités et d’autres. Un exemple du potentiel qu’offre cette approche pour rapprocher les secteurs est le défi Making Voices Count, récemment annoncé, qui a réuni l’agence d’aide du Royaume-Uni, l’USAID et le Réseau Omidyar en vue de la création d’un fonds de 45 millions de dollars pour appuyer et faciliter la participation des citoyens et améliorer la réceptivité des gouvernements. Il sera particulièrement important d’associer les économies émergentes et les acteurs du secteur privé à la réalisation d’objectifs de développement importants.
Troisièmement, l’approche des Grands Défis peut aider à mobiliser des ressources. Notamment en cette période d’austérité budgétaire partout dans le monde, il est devenu évident que le secteur public n’a pas les ressources nécessaires pour résoudre à lui seul les problèmes de développement auxquels nous sommes confrontés. L’intérêt récent pour les obligations à impact social – une expression reformulée dans l’univers du développement par obligations à impact sur le développement – est un exemple d’innovation financière prometteuse. Même si nous avons appris en 2009 qu’il faut approcher l’innovation financière avec prudence, on peut imaginer un monde où une obligation d’éradication (« E-bond ») serait émise pour la lutte contre la polio et permettrait de lever des capitaux privés auprès d’investisseurs socialement responsables pour financer le coûteux effort d’éradication, et où les gouvernements rembourseraient ces investisseurs progressivement en partageant les économies réalisées grâce à l’éradication de la maladie.
Quatrièmement, l’articulation claire d’importants défis mondiaux par l’approche des Grands Défis capte l’imagination du public et inspire l’action d’une façon que les objectifs de développement traditionnels n’ont pas réussi à faire. Mobiliser le soutien du public sera essentiel afin de maintenir la cadence au cours des deux décennies pour atteindre les objectifs post-2015. L’approche des Grands Défis peut aussi attirer de nouveaux talents dans le domaine du développement, un capital humain qui facilitera l’application d’idées nouvelles et avant-gardistes.
Près d’un milliard de dollars ont été investis dans de Grands Défis au cours de la dernière décennie. Il est logique de mettre à profit cet investissement en capital financier et humain pour dynamiser la réalisation des objectifs post-2015. Dans l’avenir, alors que le Groupe de haut niveau de personnalités éminentes, créé en juillet dernier par le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, poursuit son travail en vue de formuler des conseils et des recommandations sur les programmes de développement post-2015, nous recommandons fortement qu’il considère l’approche des Grands Défis comme l’une des – ou la – stratégie(s) clé(s) pour mettre en œuvre des solutions aux défis critiques et complexes du développement dans le monde.
Par: Peter A. Singer (@PeterASinger) et David Brook (@dbrook96)